Chapitre XIII
LE HAMEAU DE SITTAFORD

Emily fut émerveillée devant la beauté de la campagne sous la neige. A trois kilomètres d’Exhampton, la voiture quitta la grand-route et gravit une côte au milieu d’une vaste lande, sur les confins de laquelle était situé le village. Sittaford comprenait un atelier de forgeron et une boutique tenait lieu à la fois de bureau de poste et de confiserie. De là, ils prirent un sentier et arrivèrent devant une rangée de petits cottages en granit, de construction récente. L’automobile s’arrêta devant la seconde de ces maisonnettes et le chauffeur annonça aux voyageurs qu’ils étaient devant l’habitation de Mrs. Curtis.

Mrs. Curtis, une petite femme maigre, à cheveux gris et d’humeur loquace, paraissait fort agitée par la nouvelle de l’assassinat du capitaine Trevelyan, parvenue à Sittaford depuis le matin seulement.

— Mais, certainement, mademoiselle, je puis vous loger, vous et votre cousin. Cela ne vous ennuiera pas de manger à notre table, je suppose ? Qui aurait cru cela ? Le capitaine Trevelyan assassiné ! Depuis vendredi nous sommes isolés de partout et, ce matin, quand la nouvelle est arrivée, je me serais presque évanouie. Mais je vous laisse là, dehors. Donnez-vous donc la peine d’entrer. Ma bouilloire est sur le feu, je vais vous préparer une tasse de thé, car vous devez périr de froid.

Sous cette avalanche de parole, Emily et Charles furent introduits dans leur nouveau domicile. Emily avait une petite chambre carrée, d’une propreté méticuleuse et d’où l’on dominait toute la lande. Le cabinet octroyé à Charles contenait un lit et une commode microscopique.

— L’important est que nous voilà installés dans la place, observa Enderby, une fois que le chauffeur, dûment rétribué, eut déposé sa valise sur le lit. Je parie que dans un quart d’heure nous connaîtrons tous les indigènes de Sittaford.

Dix minutes plus tard, ils étaient assis dans la vaste cuisine et présentés à Mr. Curtis, un vieillard aux cheveux gris, à l’air plutôt renfrogné. Ils se régalèrent de thé, de tartines beurrées, de crème du Devon et d’œufs durs. Tout en mangeant, ils écoutaient les bavardages de la maîtresse de maison. Au bout d’une demi-heure, ils connaissaient tous les habitants de la petite localité.

D’abord, Miss Percehouse, qui habitait le cottage numéro 4, une vieille fille d’âge incertain et de caractère bizarre qui, aux dires de Mrs. Curtis, était venue là six ans auparavant pour finir ses jours.

— Mais, croyez-moi, mademoiselle, l’air de Sittaford est tellement sain que la vieille demoiselle se porte beaucoup mieux depuis son arrivée dans le pays. Miss Percehouse a un neveu qui vient la voir de temps à autre. Pour l’instant, il est ici. A mon avis, il veille surtout à ce que la fortune de la vieille tante ne sorte pas de la famille. En cette saison, un village perdu comme Sittaford n’offre aucune attraction pour un jeune homme. Toutefois, sa venue a été une providence, pour la jeune demoiselle du castel. La pauvre petite ! Quel malheur de l’amener dans cette grande caserne en plein hiver ! Mr. Ronald Garfield, le neveu de Miss Percehouse, va la voir aussi souvent qu’il le peut, sans cependant négliger sa tante.

Charles Enderby et Emily échangèrent un coup d’œil. Charles se rappelait avoir entendu citer le nom de Ronald Garfield parmi les amateurs de table tournante.

— Le cottage qui se trouve de l’autre côté du mien, le numéro 6, reprit Mrs. Curtis, est habité depuis peu par un certain Mr. Duke. Au premier abord, on prendrait ce monsieur pour un ancien militaire, mais il n’en a pas les manières. Il en va autrement du major Burnaby : inutile de le regarder deux fois pour deviner qu’il a appartenu à l’armée.

« Le numéro 3 est le cottage de Mr. Rycroft, un vieux célibataire qui, paraît-il, voyageait dans les pays lointains à la recherche d’oiseaux rares pour le British Muséum ; il est ce qu’on appelle un naturaliste. Dès que le temps le permet, il se promène sur la lande. Il aime les livres. Son cottage n’est meublé que de bibliothèques.

« Au numéro 2 habite un invalide, le capitaine Wyatt. Il a pour le servir un Indien. Cet homme des pays chauds souffre dans ce climat ; aussi fait-il des feux d’enfer dans la maison. Quand on entre chez le capitaine, on se croirait dans un four.

« Le major Burnaby habite le cottage numéro 1. Il vit tout seul et chaque matin je vais lui faire son ménage. Il est propre et méticuleux au possible. Lui et le capitaine Trevelyan s’entendaient comme larrons en foire. C’étaient de très vieux amis.

« Quant à Mrs. et Miss Willett, personne ne connaît leurs antécédents. Elles doivent être riches, car elles dépensent beaucoup. Vous ne sauriez imaginer le nombre d’œufs qui entrent dans cette maison. Elles ont amené leurs servantes avec elles. Comme ces jeunes bonnes s’ennuient, Mrs, Willett les promène jusqu’à Exeter deux fois par semaine dans sa voiture…

« Allons, je ferais mieux de débarrasser ma table. »

Elle poussa un soupir. Charles et Emily en firent autant ; ils se sentaient un peu abasourdis sous le flot de renseignements qu’elle venait de leur déverser.

Charles se risqua à poser une question.

— Le major Burnaby est-il de retour ? Aussitôt, Mrs. Curtis s’arrêta, le plateau en main.

— Il est arrivé à pied, comme toujours, une demi-heure avant vous. Je lui ai dit : « Major Burnaby, pas possible que vous veniez d’Exhampton à pied ? » Il m’a répondu : « Pourquoi pas ? Quand on a deux jambes, on n’a pas besoin de quatre roues. Vous savez bien, madame Curtis, que je m’impose cette balade toutes les semaines !

— Je le sais bien, monsieur, mais cette fois, c’est différent. Après l’émotion qu’a dû vous causer le meurtre du capitaine, je m’étonne que vous ayez la force de marcher si loin. » Il se contenta de grogner et continua son chemin. Il avait tout de même mauvaise mine. C’est un miracle qu’il soit arrivé à Exhampton vendredi soir. A son âge, il faut avoir du cran pour parcourir ces dix kilomètres sous la neige. Les jeunes gens d’aujourd’hui ne lui arrivent pas à la cheville. Ce n’est pas Mr. Ronald Garfield qui en ferait autant ! Mrs. Hibbert, la postière, et le forgeron, Mr. Pound, pensent comme moi que Mr. Garfield n’aurait jamais dû laisser le major partir seul. Il aurait mieux fait de l’accompagner. Si le major Burnaby s’était perdu dans la tempête, tout le monde aurait blâmé Mr. Garfield, et à juste titre.

L’air triomphant, elle disparut dans l’arrière-cuisine et fit entendre un remue-ménage de vaisselle.

Mr. Curtis déplaça pensivement sa bouffarde du côté droit de sa bouche au côté gauche.

— Quelles bavardes, ces femmes ! remarqua-t-il. Au bout d’un moment, il ajouta :

— Les trois quarts du temps, elles ne savent pas ce qu’elles disent.

Emily et Charles l’écoutaient en silence. Puis, comme Curtis ne disait plus rien, le jeune homme murmura :

— Vous avez bien raison, monsieur.

— Ah ! fit Mr. Curtis.

Et de nouveau il se plongea dans un silence contemplatif. Charles Enderby se leva.

— Je vais aller voir le vieux Burnaby et lui annoncer la visite des photographes pour demain matin.

— Je vous accompagne, dit Emily. Je voudrais savoir ce qu’il pense de James et connaître son opinion sur cette affaire.

— Avez-vous des caoutchoucs ? Les chemins sont boueux.

— J’ai acheté des bottes à Exhampton, répondit Emily.

— Quelle femme pratique vous faites !

Ils sortirent ensemble. Aussitôt, Mrs. Curtis reparut dans la cuisine.

— Ils sont allés chez le major, lui dit son mari.

— Ah ! Eh bien, qu’en penses-tu ? Se font-ils la cour ? On dit que les mariages entre cousins ne réussissent jamais et donnent comme résultat des sourds, des muets et des pauvres d’esprit. Il est amoureux d’elle, cela se voit, mais elle est maligne et vous a une façon à elle de parler aux hommes ! Je me demande ce qu’elle vient faire ici. Veux-tu connaître mon opinion, Curtis ?

Mr. Curtis proféra un grognement.

— Pour moi, elle aime le jeune homme que la police a arrêté et elle vient ici pour tâcher de découvrir quelque chose. Ecoute bien ce que je te dis, Curtis : bien malin qui dupera cette fine mouche !

Cinq Heures vingt-cinq
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